Histoire

Un joyau naturel protégé depuis peu

La croissance démographique, le développement des infrastructures industrielles et de communication et la modernisation des pratiques agricoles ont conduit à de rapides et profondes modifications du paysage de la Suisse et de ses régions à partir du milieu du 19ème siècle. Les milieux humides ont été parmi les plus touchés par ces modifications puisqu’on estime à 95% les surfaces de marais disparues en Suisse depuis cette époque, à l’image de la régression des surfaces marécageuses dans la région des Trois Lacs, résultant des deux corrections des eaux du Jura. La prise de conscience de cette évolution a conduit à la mise en place, à diverses échelles, de plusieurs conventions et bases légales de protection des zones naturelles menacées en Suisse, particulièrement des zones humides et principalement durant le dernier tiers du 20ème siècle. Mais le chemin fut long avant que la Grande Cariçaie bénéficie d’une protection légale digne de sa valeur naturelle.  En 1980, après la 2ème correction des eaux du Jura, près d’un quart de la Rive sud était affectée aux loisirs lacustres (ports, campings, secteurs de résidences secondaires, etc.) et les marais entre Yverdon-les-Bains et Estavayer-le-Lac étaient menacés par un projet d’implantation d’autoroute N1 (appelée aujourd’hui A1). C’est ce projet d’autoroute qui paradoxalement déclencha tout le processus de protection de la Rive sud du lac de Neuchâtel.

Les débuts de la protection

La volonté de protection de la valeur naturelle des surfaces marécageuses de la Rive sud du lac se manifesta déjà dans les années 40. La première mise sous protection dont a pu bénéficier un secteur de la Rive Sud du lac de Neuchâtel fut la création d’une réserve ornithologique à Cheyres en 1942.  Par la suite, dès le milieu des années 1960, certains secteurs de rive vaudois (Champmartin et Cudrefin en 1965, Chevroux en 1967 puis Chabrey en 1968) bénéficièrent de protection par le biais de Plans d’extension cantonaux (PEC), plans qui seront abrogés une trentaine d’années plus tard lors du classement des réserves naturelles VD et FR en 2001 et 2002. Cette reconnaissance locale se poursuivit par la promulgation de divers arrêtés de classement cantonaux. Ce fut la disparition de grandes surfaces de marais du fait du plan Wahlen qui poussa à la création de la réserve du Fanel bernois en 1967 puis du Chablais de Cudrefin vaudois en 1970. Ces deux hauts lieux ornithologiques du Bas-lac devinrent en 1974 le premier site Ramsar, du nom de la convention internationale protégeant les sites d’escales d’importance internationale pour les oiseaux migrateurs.

Ce n’est que plus tard que des travaux scientifiques mirent en évidence le caractère exceptionnel et unique des marais de la Rive sud du lac de Neuchâtel. La valeur naturelle de la Rive sud du lac de Neuchâtel est alors reconnue dès les années 1970 à l’échelle nationale par son inscription à l’Inventaire fédéral des paysages, sites et monuments naturels (IFP).

Mobilisation massive

C’est d’un projet de construction d’une autoroute à travers les zones naturelles qu’est née, étrangement, la volonté de protéger la Grande Cariçaie…

Jusqu’en 1980, la Grande Cariçaie était menacée par un projet d’implantation d’autoroute (N1) entre Yverdon-les-Bains et Estavayer-le-Lac. La Ligue suisse pour la protection de la nature (LSPN, aujourd’hui Pro Natura) acheta les marais de Champ-Pittet et commença à se mobiliser contre le tracé « lac » du projet d’autoroute N1. Le nom de « Grande Cariçaie », tiré de carex, nom latin d’une plante des marais très présente sur la Rive sud, fut alors choisi pour désigner les rives à protéger. La campagne lancée par la LSPN et le WWF suisse créa, à l’époque, un véritable raz-de-marée politique. Quatre millions de francs et 560’000 signatures furent récoltés en trois mois pour la protection de la Grande Cariçaie. La mobilisation massive de ces deux associations de protection de la nature permit l’abandon du tracé par les rives et son déplacement dans l’arrière-pays, ouvert au trafic en 2001.

Sous cette impulsion, les cantons de Vaud et de Fribourg ratifièrent en 1982 le Plan directeur intercantonal de la Rive sud du lac de Neuchâtel; celui-ci prévoyait la mise sous protection des zones naturelles et leur gestion dans un but de conservation. Le Groupe d’étude et gestion (GEG), créé à cette occasion, fut alors chargé de cette tâche.

Protection du paysage lacustre et de ses biotopes

A partir de 1990, l’entrée en vigueur progressive de plusieurs ordonnances fédérales sur la protection des zones humides d’importance nationale permit de renforcer l’importance de la Grande Cariçaie et la nécessité de sa protection, celle-ci devenant également le plus grand site Ramsar de Suisse (Convention internationale sur la protection des zones humides). La première mise à l’enquête des réserves naturelles pour la Grande Cariçaie en 1998 provoqua un véritable tollé.

La Rive sud du lac de Neuchâtel, dont la valeur naturelle était reconnue par son inscription dans chacun des inventaires d’objets associés à ces ordonnances, fut confrontée à la difficulté d’application des règlements, chaque ordonnance s’appuyant sur des périmètres et un règlement d’application spécifiques. Afin de contourner cette difficulté, les autorités cantonales compétentes, soutenues par les ONG de protection de la nature et les gestionnaires du site, initièrent dès la moitié des années 1990 un processus devant conduire à la création de réserves naturelles. Ces réserves naturelles devaient permettre l’harmonisation des périmètres et des règlements des diverses ordonnances fédérales en vigueur.

En 1998, un premier projet de décisions de classement de 7 réserves naturelles fut mis à l’enquête publique par les autorités vaudoises et fribourgeoises. Il suscita d’importantes oppositions, plus de 100’000, préparées et coordonnées par Aqua Nostra, association de communes riveraines, d’habitants et d’usagers du lac, créée à l’occasion de ces consultations cantonales.

Après plusieurs années de longues négociations entre les différents intérêts, huit réserves sensiblement réduites par rapport au projet initial furent finalement créées en 2001 et 2002 sur les territoires des Cantons de Vaud et de Fribourg, accompagnées d’une série d’aménagements pour l’accueil du grand public.

Extrait du réglement des réserves naturelles: objectifs de protection

  • Préserver le paysage lacustre de la Rive sud du lac de Neuchâtel, en particulier la continuité de ses étendues marécageuses, sa structure, sa physionomie et sa beauté. Conserver ses éléments caractéristiques et ses sites historiques et archéologiques;
  • Sauvegarder les écosystèmes du lac, de la beine, de la rive, des marais, des forêts alluviales et de pente, ainsi que de leurs communautés végétales et animales. Préserver en priorité les surfaces non boisées des marais;
  • Préserver les biotopes ainsi que leurs interconnections, spécialement avec le lac et l’arrière-pays. Préserver et si nécessaire restaurer les facteurs écologiques dont ils dépendent, et particulièrement le régime et la qualité des eaux;
  • Conserver, voir créer les conditions favorables au maintien des populations d’espèces rares ou menacées;
  • Accueillir le public et lui permettre, dans les limites fixées par ces buts de protection, d’entrer en contact avec les milieux naturels et d’en éprouver la richesse, grâce à des aménagements didactiques, le maintien des chemins et l’accès à certains secteurs de rive.

Dates clés

  • 1967 – Arrêté de classement pour le Fanel BE, première réserve naturelle sur la Rive sud
  • 1970 – Arrêté de classement pour le Chablais de Cudrefin VD
  • 1973 – Arrêté de classement pour le Fanel NE
  • 1976 – Ratification par la Suisse de la Convention de Ramsar. Les trois réserves mentionnées plus haut deviennent le premier site Ramsar de Suisse. Première cartographie des rives (financement OFEFP)
  • 1980 – Campagne Pro Natura Helvetica (WWF Suisse et Pro Natura) pour l’abandon du tracé de l’A1 par les rives et pour la protection de la Grande Cariçaie
  • 1982 – Adoption du Plan directeur intercantonal VD et FR pour la Rive sud et signature de la Convention intercantonale relative à la gestion de la Grande Cariçaie. Création du Groupe d’étude et de gestion (GEG)
  • 1983 – Arrêté de classement de la réserve de Cheyres FR et inscription de la Grande Cariçaie à l’Inventaire fédéral des paysages, sites et monuments naturels d’importance nationale
  • 1985 – La Grande Cariçaie devient une réserve biogénétique du Conseil de l’Europe
  • 1987 – Deuxième Convention, avec financement par les cantons, la Confédération, le WWF et Pro Natura
  • 1990 – L’ensemble de la Grande Cariçaie obtient le statut de site Ramsar et vient ainsi compléter le site Ramsar « Bas-Lac » existant
  • 1991 – Entrée en vigueur de l’Ordonnance fédérale sur les réserves d’oiseaux d’eau et de migrateurs d’importance internationale et nationale (OROEM)
  • 1992 – Entrée en vigueur de l’Ordonnance fédérale sur la protection des zones alluviales d’importance nationale (OZA)
  • 1994 – Entrée en vigueur de l’Ordonnance fédérale sur la protection des bas-marais d’importance nationale (OBM)
  • 1996 – Entrée en vigueur de l’Ordonnance fédérale sur la protection des sites marécageux d’une beauté particulière et d’importance nationale (OSM)
  • 1998-2000 – Mises à l’enquête des réserves naturelles cantonales VD et FR de la Rive sud. Nombreuses oppositions. Renégociation notamment avec les communes et remise à l’enquête d’un nouveau projet
  • 2001 – Décision de classement VD des réserves naturelles
  • 2002 – Plan d’affectation cantonal FR des réserves naturelles
  • 2006 – Création par les cantons de Vaud et de Fribourg d’un poste de surveillant des réserves naturelles
  • 2010 – Création de l’Association de la Grande Cariçaie, qui remplace le Groupe d’étude et de gestion et la Commission de gestion

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