Fiche info Grande Cariçaie
Fiche info | Le Grand Cormoran Phalacrocorax carbo

Le Grand Cormoran, un oiseau mal-aimé mais néanmoins fascinant

Un grand oiseau noir, étendant ses ailes au soleil en fin de journée… L’image est devenue habituelle pour les promeneurs qui se baladent le long du Môle du Fanel, à l’extrémité Nord du lac de Neuchâtel, ou près de la zone de tir lacustre de l’armée à Forel. Pourtant, cela ne fait pas si longtemps que le Cormoran est devenu une espèce commune en Suisse. En effet, ce n’est qu’en 1910 que le premier Cormoran a été aperçu sur les eaux du lac de Neuchâtel. A cette époque, seules quelques observations avaient été signalées sur le lac Léman (Maumary et al., 2007). Comment s’est donc déroulé la colonisation du territoire suisse par ce grand oiseau d’eau parfois mal-aimé ?
Au début du XXème siècle, les eaux des lacs de Suisse se sont eutrophisées suite au déversement de plus en plus important de phosphore (provenant principalement des lessives) et d’autres apports d’azote dus à l’activité humaine. Les algues ont alors proliféré, amenant nourriture et protection pour les alevins de poissons qui ont vu par conséquence leur population croître de manière importante (pour la plus grande joie des pêcheurs) (Suter, 1994). Le Grand Cormoran en a bénéficié et a trouvé là des zones particulièrement favorables pour se nourrir. Mais, mal vu des milieux de la pêche en raison de son appétit pour le poisson, le Cormoran était à l’époque chassé.
Suite à sa protection globale au niveau européen en 1979, les effectifs de l’espèce ont considérablement augmenté (Maumary et al., 2007; Suter, 1995). Les colonies qui existaient du côté allemand du lac de Constance se sont alors agrandies et la première nidification suisse a eu lieu sur l’île bernoise du Fanel, où deux couples se sont reproduits avec succès en 2001. Les années qui suivirent, de plus en plus d’individus se sont reproduits sur le lac de Neuchâtel, tout d’abord sur les îles du Fanel, puis sur une deuxième colonie dans la région de Champ-Pittet, au sud du lac. En 2011, les Cormorans du Fanel se sont déplacés en partie dans les arbres bordant les marais, et ont définitivement abandonné les îles en 2015.

Colonie arboricole de Champ-Pittet

Colonie arboricole de Champ-Pittet

Actuellement, le lac de Neuchâtel possède deux colonies uniquement arboricoles dont les effectifs continuent d’augmenter chaque année. En 2017, nous avons cependant observé des effectifs très proches de ceux de 2016. On compte aujourd’hui un peu plus de 1200 couples nicheurs sur le lac de Neuchâtel

Un plumage pas tout à fait imperméable

Position typique du Cormoran séchant ses ailes

Position typique du Cormoran séchant ses ailes

A l’âge adulte, le Cormoran présente toute l’année une belle livrée noire, avec l’apparition en tout début du printemps de notes blanchâtres sur la tête et d’une marque blanche sur le flanc. Le jeune Cormoran, en revanche, a le ventre clair et le reste du corps d’un noir moins profond que l’adulte. C’est une espèce grégaire qui vit la plupart du temps en colonie et il n’est pas rare d’observer de grands groupes de plus de 50 individus chassant ensemble. Ses plumes sont semi-perméables (en comparaison, celles des canards sont entièrement imperméables), et le Cormoran passe donc une bonne partie de ses journées à les sécher, en prenant sa pose bien connue, les ailes écartées. On pourrait penser à tort que ces plumes ne confèrent aucun avantage pour un oiseau pêcheur. Au contraire, celles-ci réduisent la quantité d’air comprise entre le plumage de l’oiseau et sa peau, permettant au Cormoran de manœuvrer plus facilement en eau peu profonde que s’il avait des plumes entièrement imperméables. Cette particularité rendrait même sa chasse plus efficace (Grémillet, Chauvin, Wilson, Le Maho, & Wanless, 2005).

Une espèce migratrice

Le Grand Cormoran niche de mai à août, et peut effectuer hors saison de reproduction des déplacements de 3’000 km entre ses sites d’hivernage et d’estivage. Les individus sont fidèles à leurs sites de reproduction et à ceux d’hivernage, comme le montrent les données de lecture de bagues posées sur les poussins au nid, et lues quelques années plus tard aux mêmes endroits (Maumary et al., 2007).
Exclusivement piscivore, le Cormoran s’attire les foudres des pêcheurs qui lui reprochent de vider les lacs et les cours d’eau de leurs poissons. Une analyse du régime alimentaire du Grand Cormoran sur le site du Fanel, lors du baguement des jeunes en 2012, avait permis de mettre en lumière les habitudes de cet oiseau. En tête de liste des poissons consommés figuraient des Gardons et des jeunes Perches de première année, ce qui confirme d’autres études menées ailleurs en Europe (Grémillet, 1997; Keller, 1995; Veldkamp, 1995). Avec 56% de la biomasse, le Gardon dominait la Perche de première année (30%). Les poissons de valeur marchande (comprenant des Perches de deuxième année et plus, ainsi que des Brochets) ne représentaient que 8% de la biomasse totale (Antoniazza, 2013).

Carte illustrant les données de lecture de bagues posées sur des poussins nés au Fanel, et lues ailleurs en Suisse ou en Europe. Le point initial est situé sur l’ile neuchâteloise du Fanel. Les extrémités des traits situent les lieux où les bagues ont été lues. Les traits rouges indiquent les lectures de bagues effectuées durant l’été, les traits bleus, les lectures de bagues durant l’hiver. Données de Michel Antoniazza via la Centrale de baguage de la Station ornithologique suisse.

Carte illustrant les données de lecture de bagues posées sur des poussins nés au Fanel, et lues ailleurs en Suisse ou en Europe. Le point initial est situé sur l’ile neuchâteloise du Fanel. Les extrémités des traits situent les lieux où les bagues ont été lues. Les traits rouges indiquent les lectures de bagues effectuées durant l’été, les traits bleus, les lectures de bagues durant l’hiver. Données de Michel Antoniazza via la Centrale de baguage de la Station ornithologique suisse.

Régulation difficile

Si une régulation du Cormoran en Suisse est actuellement en discussion, elle n’est pas évidente à mettre en place. Les directives suisses en manière d’éthique n’autorisent en effet la régulation qu’au niveau des pontes (destruction des œufs) jusqu’à quelques jours après la ponte du premier œuf. Sachant que les Cormorans ont une période de reproduction particulièrement longue, il serait pratiquement impossible de pénétrer dans une colonie en respectant ces directives. On rencontrerait en effet des Cormorans de tous âges sur le site, or les jeunes individus dérangés quittent leurs nids et n’hésitent pas à sauter au sol avant même d’être capable de voler. De plus, les arbres dans lesquels sont situés les nids sont fragilisés par la grande quantité de guano acide qui les recouvre. Le processus serait donc dangereux d’une part pour les oiseaux, d’autre part pour les « régulateurs » souhaitant accéder aux nids.
Actuellement, tous les Cormorans nicheurs du lac de Neuchâtel se reproduisent dans des arbres, et sont donc pratiquement hors d’atteinte pour une régulation de ce genre (ils ne sont d’ailleurs plus bagués, les données proviennent toutes des baguements qui pouvaient se réaliser à l’époque sur les oiseaux nichant au sol).
Le tir d’individus pourrait de son côté provoquer un dérangement conséquent pour d’autres espèces, les deux sites de nidification des Cormorans sur le lac de Neuchâtel étant situés dans des secteurs de Réserves internationales d’oiseaux d’eau (OROEM) abritant nombre d’espèces sensibles.
Les discussions s’annoncent probablement encore longues et délicates avant qu’un compromis ne soit trouvé quant à la gestion future de cette espèce sur nos lacs.

Bibliographie

  • Antoniazza, M. (2013). Suivi des oiseaux nicheurs. Recensements 2012.
  • Grémillet, D. (1997). Catch per unit effort, foraging efficiency, and parental investment in breeding great cormorants (Phalacrocorax carbo carbo). ICES Journal of Marine Science, 54(4), 635–644. https://doi.org/10.1006/jmsc.1997.0250
  • Grémillet, D., Chauvin, C., Wilson, R. P., Le Maho, Y., & Wanless, S. (2005). Unusual feather structure allows partial plumage wettability in diving great cormorants Phalacrocorax carbo. Journal of Avian Biology, 36(1), 57–63. https://doi.org/10.1111/j.0908-8857.2005.03331.x
  • Keller, T. (1995). Food of cormorants phalacrocorax carbo sinensis wintering in bavaria, southern germany. Ardea, 83(1), 185–192.
  • Maumary, L., Vallotton, L., & Knaus, P. (2007). Les Oiseaux de Suisse. (Station Ornithologique Suisse & Nos Oiseaux, Eds.).
  • Suter, W. (1994). Overwintering waterfowl on Swiss lakes: how are abundance and species richness influenced by trophic status and lake morphology? Hydrobiologia, 279–280(1), 1–14. https://doi.org/10.1007/BF00027836
  • Suter, W. (1995). Are cormorants Phalacrocorax carbo wintering in Switzerland approaching carrying capacity? An analysis of increase patterns and habitat choice. Ardea, 83(1), 255–266.
  • Veldkamp, R. (1995). Diet of Cormorants Phalacrocorax carbo sinensis at Wanneperveen, the Netherlands, with special reference to Bream Abramis brama. Ardea, 83(1), 143–155.

Dernière modification: 27 février 2018

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